L’histoire que je vais vous raconter n’est ni le fruit de mon imagination, ni un quelconque fait divers. C’est tout simplement un acte de courage et de patriotisme qui relève presque de l’héroïsme. Le 14 juillet 2005, j’achevais ma première année au sein de l’école des jeunes sapeurs-pompiers de Saint-Vallier de Thiey. Le jour de la fête nationale est particulièrement redouté chez nous en raison du défilé sous un soleil de plomb. Le port du plastron est de surcroît obligatoire. Nombreux sont ceux dont les poches regorgent d’abricots secs, peu réglementaires, afin de résister aux deux heurs de cérémonie. Les malaises sont fréquents. En ce jour de fête où nous sommes censés célébrer notre réussite à l’examen, le moral des troupes est au plus bas car quelqu’un manque à l’appel. Son nom est Matthieu, élève de troisième année. Deux semaines plus tôt, alors qu’il rejoint la caserne, il est percuté par une voiture qui lui refuse la priorité. Mon sergent, Philippe, est de garde cet après-midi-là. Il entend les médecins dire à Matthieu qu’ils ne sont pas parvenus à sauver son bras, arraché en même temps que la bretelle de son sac à dos. Sa jambe, dans un état critique, lui vaudra trois semaines de chaise roulante. Nous ne le savons pas mais aujourd’hui, Matthieu est derrière les rangs. Malgré son accident qui a réduit à néant son rêve d’enfant et qui aurait plongé la quasi-totalité des jeunes de son âge dans un état de profonde dépression, il est venu nous apporter son soutien. Je lutte tant bien que mal contre la chaleur et le contact du plastron qui m’enserre la gorge. La canicule a déjà fait cinq « victimes » sur les cinquante-six apprentis sapeurs. Le son des clairons qui entament la Marseillaise me redonne courage. Le moment où notre chef de rang annoncera : « section, rompez les rangs » est proche. Nous l’ignorons, mais derrière nous, Matthieu est en train de mener un combat bien plus épuisant encore. La cérémonie est terminée et nous nous donnons tous rendez-vous le samedi suivant pour la remise de diplômes qui scellera notre engagement. Deux jours plus tard, comme promis, tous les « Jeunes Sapeurs Pompiers » de Saint-Vallier accompagnés de leurs parents, ainsi que quelques élus, se retrouvent au traditionnel apéritif et se voient remettre leur diplôme. L’ambiance est décontractée. Le président Leclerc nous convoque tous dans la salle de classe pour un discours qui doit clôturer l’année. A l’intérieur, l’atmosphère est lourde, chargée d’émotions. Mathieu, en compagnie du staff, nous accueille d’un signe de la main. Je n’ai encore rencontré personne de présent ce jour -là qui n’ait pleuré ou du moins été ému par les paroles de notre sergent. Au bort des larmes, il a raconté à l’assemblée, un peu comme je le fais en ce moment, l’acte de bravoure peu commun qui a marqué à jamais ce 14 juillet 2005. Sachez que pendant la Marseillaise, en dépit de sa jambe invalide, Matthieu a tenu à se lever de sa chaise roulante et à rester debout durant la totalité de l’hymne national. Qui a osé dire que les valeurs patriotiques se perdaient dans la jeunesse ? Dans une interview concernant son nouveau film « mémoires de nos pères » Clint Eastwood a déclaré très justement : « les vrais héros sont discrets… ». En lisant cette interview, j’ai pensé très fort à Matthieu.